« Rembrandt (1606-1669) est une exception incomparable. C’est ce que je me propose de vous montrer.
Il faut être précis. On ne sait rien ou presque rien de ce que fut sa vie. Et ce que l’on en sait n’explique rien – ou au mieux pas grand-chose – de ce qu’est son œuvre. Œuvre qui est d’autant plus troublante qu’il n’y a rien de commun entre la matière des portraits peints entre son installation à Amsterdam en 1631 et celle des tableaux peints après 1642.
La maîtrise de celle lisse et sans accident avec laquelle il a séduit ses commanditaires cède la place à une fougue et à des empâtements que nul n’a alors eu encore l’audace de proposer. Reste que, comme aucun autre peintre de son siècle, il aura pleinement accompli ses ambitions. Lorsqu’il quitte Leyde, où il est né, pour Amsterdam, il fait le choix de signer par son seul prénom, Rembrandt. Il désigne ses pairs. Qui se soucie de ce que Michelangelo ait porté le nom de Buonarroti, que Rafaello ait pu être Raffaello Sanzio, que Tiziano ait été Tiziano Vecelli da Cador, que Leonardo soit da Vinci ? C’est à eux, dont le seul prénom suffit à signifier la gloire, qu’il entend se mesurer.
En 1642, les commanditaires qui découvrent la Ronde de nuit sont déconcertés. (Comme on peut l’être avec le titre donné au 19e siècle à cette Compagnie du capitale Frans Banning Cocq, qui n’est pas une ronde et qui ne se passe pas la nuit…). Commence alors le temps de sa deuxième ambition. Il ne rend plus le moindre compte à la clientèle qu’il a servi et qui a fait sa renommée. Il veut n’en plus rendre qu’à la peinture. Si, dans les dernières années de sa vie il se peint en Zeuxis, peintre du 4e siècle av. J.C., dont il ne reste rien si ce n’est la gloire, c’est pour signifier que quand bien même pas un dessin, pas une gravure, pas une toile, pas enfin une de ses œuvres ne subsisterait, il serait, comme lui, glorieux dans les siècles des siècles.
Il serait très inconséquent de ne pas vouloir vérifier, en cette année célébrant le 350e anniversaire de la mort du peintre, que cette gloire n’est pas usurpée… Et de ne pas, grâce à lui, réapprendre à regarder. »
Par Pascal Bonafoux
Pascal Bonafoux est professeur émérite des universités. Il a collaboré et collabore à divers journaux et revues. Commissaire de plusieurs expositions, dont Moi, autoportraits du 10e siècle qui fut présentée au Musée du Luxembourg, à Paris, puis à la Galleria degli Uffizzi de Florence, il est l’auteur de nombreux livres consacrés à l’art, dont Rembrandt, autoportraits (Skira, 1985, Prix Elie Faure, Gutenberg du plus beau livre de l’année 1986, Prix Charles Blanc de l’Académie française) et de Rembrandt, le clair et l’obscur (Gallimard/ Découvertes, 1990).
En septembre 2019 sera publié aux Éditions du Seuil son nouvel essai Rembrandt par Rembrandt.
Chloé Lefevre
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